Les connexions cérébrales naissent à un rythme précis
Des scientifiques de l’UNIGE démontrent qu’au cours du développement, les différentes populations de neurones nécessaires aux connexions entre les aires cérébrales partagent un programme génétique similaire, mais se déroulent à un rythme différent.
L’activation des aires cérébrales augmente progressivement au cours du développement postnatal. Dans cette étude, les auteur-es ont examiné les bases génétiques de l’établissement de cette connectivité. © UNIGE – Laboratoire Denis Jabaudon
Le cortex cérébral, situé à la surface du cerveau, gère les facultés cognitives, le langage ou encore les fonctions complexes nous permettant de nous représenter le monde ou de nous projeter dans le futur. En étant capable de catégoriser et d’associer les stimuli lui parvenant de nos cinq sens, le cortex fait les liens entre ces différentes informations pour leur donner un sens et agir en conséquence. Pour ce faire, différents types de neurones établissent des connexions corticales qui se mettent en place lors du développement embryonnaire, puis dans les premiers temps de vie. Mais par quel mécanisme biologique cet assemblage délicat se crée-t-il? Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) décrypte pour la première fois ce phénomène: si les neurones sont anatomiquement différents, leur programme génétique reste, lui, très similaire. Il s’avère que les différences émergent au moment de la maturation de ces neurones, qui doivent suivre un rythme précis pour établir les bonnes connexions, sans quoi une connectivité anormale s’établit. Des résultats surprenants à découvrir dans la revue Nature.
Les différentes fonctions gérées par le cortex cérébral ne sont pas distribuées au hasard, mais s’organisent selon une cartographie précise. Ainsi, les aires de la vision sont situées à l’arrière de la tête, tandis que le toucher est représenté sur le côté et le contrôle moteur à l’avant. Pour pouvoir accomplir leurs différentes fonctions, ces aires doivent cependant communiquer efficacement. «Et cela se vérifie continuellement : pour attraper un ballon, par exemple, l’aire de la vision et celle du mouvement doivent se coordonner», explique Denis Jabaudon, professeur au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE, qui a dirigé ces travaux. Ces connexions sont essentielles pour que les êtres humains puissent construire une vision cohérente du monde qui les entoure et l’interpréter correctement. Cependant, un choix doit s’opérer afin que, d’une part, les associations ne soient pas erronées, et que, d’autre part, les associations les plus utiles soient aussi sélectionnées.
Une partition génétique commune jouée à un tempo différent
Les connexions entre les aires corticales sont assurées par les neurones dits «de projection corticale interaréaux» (ICPN), qui envoient des signaux électriques à d’autre(s) aire(s) corticale(s). «Or, pour que les aires corticales puissent communiquer, le système doit se connecter précisément», souligne Denis Jabaudon. «Et pour cela, différents types de connexions doivent impérativement s’établir au bon endroit et au bon moment.» Pour comprendre comment ce phénomène se met en place, Esther Klingler, chercheuse au sein de l’équipe de Denis Jabaudon, et leurs collaborateurs/trices ont étudié, comment les connexions entre les aires responsables du toucher et de la motricité s’établissent après la naissance chez la souris. «A notre grande surprise, le programme génétique des populations d’ICPN n’est globalement pas différent malgré leurs différences anatomiques. Cependant, le tempo régissant l’expression de ce programme génétique varie, lui, considérablement.»
Ainsi, les neurones établissant des connexions d’un type donné se développent plus rapidement, tandis que d’autres se développant plus lentement connectent d’autres aires corticales. «Nos travaux suggèrent que pour créer la diversité des neurones, il n’y a pas toujours besoin de diversité génétique majeure. Il semble que dans ce cas, la partition est similaire, seul le rythme de lecture et d’exécution change.»
Pour confirmer leur découverte, les scientifiques ont modifié l’exécution de ce programme génétique en exprimant sur une longue période un gène qui normalement n’est exprimé qu’au début du processus. Les souris ont alors montré des connectivités sensitivomotrices anormales, ainsi qu’une exploration insolite de leur environnement. Cette seule modification a perturbé le système dans son entier.
La relation toucher-mouvement en premier
Les différents types neuronaux ont donc des rythmes de différenciation postnatale distincts, qui se reflètent dans l’ordre selon lequel les connexions entre les aires cérébrales apparaissent. «Chez la souris, l’exploration active de l’environnement n’émerge progressivement qu’au cours des deux premières semaines de vie et suit la mise en place des connexions entre les aires cérébrales correspondantes», détaille Denis Jabaudon. «Le développement par étape de ces différents neurones permet aux aptitudes sensorielles d’émerger selon ce même calendrier: le souriceau nouveau-né a d’abord besoin de pouvoir téter — et développera donc en premier la relation toucher — puis aura besoin de se déplacer et développera alors des aptitudes motrices faisant appel à d’autres aires cérébrales.» Ainsi, peu à peu, le cortex apprend à n’établir des connexions que lorsque celles-ci sont nécessaires, afin de pouvoir traiter l’information correctement. Dans le cerveau aussi, il y a un temps et un lieu pour tout.
9 novembre 2021